Une démarche de microhistoire en Touraine
Comment imaginer qu'à partir d'un hameau d'une demi-douzaine de maisons, il a été possible de reconstituer des destins individuels et familiaux qui illustrent en fait les destins de la société rurale en France pendant trois siècles. Cette démarche de microhistoire a été conduite par Alain Pauquet, dans un livre qui vient de paraître, intitulé Villageois en Touraine, la société à Chédigny de 1590 à 1914.
Voici la présentation que l'auteur fait de cette démarche :
"Notre choix s’est porté sur la commune de Chédigny qui se trouve à une dizaine de kilomètres au nord de Loches (en Indre-et-Loire). Située entre le plateau de Champeigne (dit aussi de Champagne tourangelle) qui en occupe la partie nord et la forêt de Loches qui la borde au sud, elle est traversée par la vallée de l’Indrois dans sa partie méridionale.
Le cadre chronologique pluriséculaire, qui peut surprendre le lecteur, nous a été imposé par les sources. En amont : les titres seigneuriaux qui commencent pour l’essentiel vers 1590 et les archives notariales de la châtellenie dont les premiers actes se situent en 1610. En aval : les règles de communicabilité protégeant la vie privée, notamment concernant les actes notariés, imposent un recul d’un siècle par rapport à aujourd’hui, fixant le terme de cette enquête à la veille de 1914. Pour situer les choses dans la chronologie politique, notre enquête ira donc des débuts du règne d’Henri IV, devenu roi de France en 1589, jusqu’aux débuts de la présidence de Raymond Poincaré, élu en 1913.
Notre propos consistera par exemple à suivre la vie des paysans qui se sont succédé sur plusieurs siècles en restituant non seulement leurs revenus, leurs habitations et leurs conditions de travail mais aussi ce qu’étaient leurs sentiments, leurs épreuves, leurs émotions. Il s’agira tout autant de reconstituer la vie de ceux qui appartenaient aux milieux sociaux dominants de l’endroit, ceux qui possédaient la terre mais ne la cultivaient pas, bourgeois et nobles qui habitaient ailleurs, en ville ou dans des châteaux. Tous ces destins qui se sont croisés formaient par leurs interactions un tissu social que nous nous sommes efforcé de retrouver, grâce à l'analyse de 276 actes notariés, plusieurs milliers d'actes d'état-civil et des centaines de documents judiciaires."
Loin d'une description ennuyeuse, Alain Pauquet nous retrace de manière très vivante tous ces destins comme le mariage arrangé de la jeune Marie Tettereau, obligée, grâce aux biens qu'elle possède, d'épouser en octobre 1666 un noble ruiné, âgé de 50 ans : Charles de Berthé.
"Imaginons un instant, la tristesse de la mariée lorsqu'elle arriva dans sa nouvelle demeure, après avoir contourné les étables et enjambé les flaques d'eau boueuses qui séjournaient comme partout devant les fermes, surtout en automne; Habituée à la ville d'Amboise , elle était maintenant reléguée au fin fond de la campagne, dépouillée de ses biens et aux mains d'un mari fort peu instruit comme en témoigne sa signature très maladroite en bas du contrat de mariage."

L'auteur, Alain Pauquet, agrégé d'histoire et docteur d'Etat-ès-Lettres et Sciences humaines, a aussi été pendant une dizaine d'années, professeur missionné pour les activités éducatives aux Archives d'Indre-et-Loire .
Ce livre a été édité par les éditions Hugues de Chivré, à Chemillé sur-Indrois.