La lettre de Napoléon la Cécilia. 26 mai 1859
Cette lettre (AD37 1 J 1597) a été écrite par Napoléon La Cécilia (1835-1878), le 26 mai 1859, quand il résidait à Iena, en Allemagne. Il est âgé de 23 ans et poursuit ses études à l’université. Cette lettre écrite à la plume, d’une petite écriture fine est très intéressante, car elle dévoile la personnalité future de Napoléon La Cécilia : le philologue mais aussi le démocrate.
Il s’adresse à un certain M.Crépet, dont le nom apparait à la fin de la lettre, qui a du l’aider financièrement en lui prêtant 25 thalers. 1 tahler, utilisé comme monnaie dans les pays germaniques équivalait en 1830 à 3,90 F. Sachant que le salaire journalier d’un artisan était environ de 2,50F, cette somme de 25 thalers représente donc un certain montant.
Dans une première partie assez longue, Napoléon La Cécilia se perd dans des explications confuses et tente d’effacer le nuage qui s’est élevé entre eux. Il est surpris que M.Crepet n’ait pas reçu une lettre envoyée en janvier, et qui contenait les 25 thalers qu’il lui devait. Il accuse la fatalité ou « plutôt la main adroite de quelque employé de la poste qui a fait disparaître la lettre et son contenu ». Il rajoute même qu’il travaille 88 à 95 heures par semaine, étant obligé de donner des cours particuliers, en plus de suivre ses études. Il a aussi été très occupé par l’accompagnement d’élèves à Berlin pendant 3 semaines. Dernier argument : « il a été obligé de s’imposer de grands sacrifices pour l’achat de quelques livres indispensables à ses études : le dictionnaire arabe de Freytay [Freytet], la gravure arabe de Caspari, la chrestomathie arabe d’Arnold, la chrestomathie sanscrite de Böthlinck, qui lui ont coûté 30 thalers.
La deuxième partie est consacré au contenu de ses études, qui déjà à l’université s’organisait en semestre. Il détaille ses cours : langues et grammaire arabe, hébraïque et sanscrite. Explication de fragments d’auteurs arabes. Langue chaldéenne et explication du livre de Daniel et des Targumins (Traduction de la bible hébraïque en araméen), Morphologie des langues, grammaire comparée; Sanscrit et explication du Panchatantra ( ancien recueil de contes et de fables en cinq parties, 3ème siècle avant J.C). Etude des œuvres d’Ali-Abu-Talib, cousin de Mahomet (7ème siècle) et de Buhran-Al-Din, savant musulman (13ème -14ème siècles).
Concernant l’histoire de la littérature, de la géographie des sciences et des peuples sanscrits et indiens. Il a lu « le magnifique livre de Colebrooke : On the philosophy and the religion of the Hindus, l’ouvrage du même auteur : On the Algebra of the Hindus et plusieurs articles intéressants de Wilson dans les Asiatics Researches. En outre, j’ai dévoré pour la seconde fois l’ouvrage important de Köppen : Die religion des Budha und ihre Enstehung, les Indische Skizze de Weber, les Indische Litteratur Geschichte du même, de nombreux fragments de Das Alte Indien de Bohlen, de l’Indische Alterthumskunde » de Lassen, plus l’histoire critique de l’ancien Testament de Richard Simon, de nombreux articles de la bibliothèque orientale de Herbelot, la Geschichte der Phanicier de Movers, les Monumenta Phenicia de Gesenius ».
La dernière partie de sa lettre fait allusion à son engagement politique.
« Il m’était impossible de rester plus longtemps en Allemagne dans un moment où l’Italie tente un dernier effort pour son indépendance, où l’Allemagne fanatisée et égarée par l’Autriche méconnait tout sentiment de justice et de solidarité des peuples et ne parle que de conquérir et démembrer la France. Je me suis donc résolu à tirer moi aussi l’épée pour la cause italienne et ne voulant pas prêter serment à qui vous savez, j’ai offert mes services au Piémont ».
Le 26 avril 1859, l’Empire d’Autriche déclare la guerre au royaume de Sardaigne, dont le territoire s’étend aussi au nord de l’Italie. Le 29 avril, l’armée autrichienne envahit le Piémont. La France, qui pour récupérer la Savoie et le comté de Nice, avait conclu, en juillet 1858, un accord secret pour s’engager militairement à côté du royaume de Sardaigne en cas d’attaque de l’Autriche débarque à Gênes le 10 mai. Est-ce à Napoléon III qui commande l’armée française que Napoléon La Cécilia, qui est de nationalité française, ne veut pas prêter serment ? que pour cette raison , il préfère s’engager directement auprès du Piémont. Le 5 juin, l’armée autrichienne évacue Milan. Le 8 juin, une bataille sanglante à la citadelle de Melegnano se solde, certes par une victoire française, mais au prix de 1000 tués. C’est pour cela que Napoléon la Cecilia est conscient dans sa lettre du danger qui l’attend et que ces mots écrits à son destinataire prennent tout leur sens : « j’espère que les balles autrichiennes me respecteront, mais si la mort m’attend sur les champs de la Lombardie, je sacrifierai volontiers ma vie pour une cause aussi juste et qui doit avoir la sympathie et l’appui de tout vrai démocrate. ». Il termine sa lettre de manière émouvante , celle de ne pouvoir presser sur son coeur et dire à ses amis comme il les aime.
Mais son heure n’est pas encore arrivée car est-ce à l’occasion de ce premier engagement militaire qu’il rencontre Garibaldi car il le suit un an plus tard, en mai 1860 dans l’expédition dite des Mille. Celle-ci fait référence à l’embarquement de mille volontaires dirigés par Garibaldi afin de conquérir dans le cadre de l’unité italienne le royaume des Deux-Siciles gouverné par les Bourbons. Cette expédition qui se termine en octobre 1860 par la victoire de Garibaldi est considérée comme une étape essentielle de l’histoire italienne.
Installé à Naples, Napoléon La Cecilia reprend son rôle initial de professeur et enseigne le sanscrit au collège asiatique de 1861 à 1869. Quand cet établissement est restitué aux Jésuites, il refuse d'y professer et rentre en France. Mêlé à l'opposition républicaine à la fin du Second Empire, il s'engage de nouveau militairement après le 4 septembre 1870 dans l’Armée de la Loire , puis en 1871 comme chef militaire de la Commune de Paris.



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