114J - Fonds de l'Association La Paternelle - Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray. Village de l'Espoir, Village des Jeunes (1839-2008)

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Cote/Cotes extrêmes

114J (Cote)

Date

1839-2008

Description physique

Le fonds de la Colonie pénitentiaire est constitué de dossiers manuscrits, de documents dactylographiés, de livres, d'imprimés, de plans, de gravures, de photographies (tirages et négatifs), de plaques de verres et de cartes postales.

Localisation physique

AD37 - site de Tours

AD37 - site de Chambray-lès-Tours

Origine

Association La Paternelle (Indre-et-Loire)

Biographie ou Histoire

Il ne s'agit ici ni de retracer l'historique, ni de faire la critique des institutions de la Colonie agricole et pénitentiaire et de la Maison paternelle de Mettray. D'autres l'ont fait au cours d'études historiques ou universitaires. Citons Pierre Boulard (De la Colonie agricole et pénitentiaire au village des jeunes, Mémoires de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, Tours, 1989), Henri Gaillac (Les maisons de correction 1830-1945, Editions Cujas, 1971) ou encore Eric Pierre et Jacques Bourquin.

On se bornera donc à rappeler quelques faits, quelques dates, quelques jalons et quelques principes de cette institution qui fut, en France, la première expérience de surveillance et de réinsertion de la jeunesse délinquante hors des murs traditionnels de la prison.

La création

La Société Paternelle a créé et géré à Mettray, de 1839 à 1937, la Colonie agricole et pénitentiaire pour les enfants délinquants, et, de 1855 à 1910, la Maison paternelle pour les enfants sous placement paternel volontaire.

En 1810, le Code pénal fixe la majorité pénale à 16 ans. Selon les articles 66 et 67 si un enfant a commis une faute, deux verdicts sont possibles lors de son jugement : soit il a agi avec discernement, soit il a agi sans discernement. Dans le premier cas il est condamné à une peine de prison. Dans le deuxième cas, il est acquitté mais, à cause de la situation morale ou physique de sa famille, il ne peut être remis en liberté ; il est donc mis en prison. L'enfant est alors "acquitté... comme ayant agi sans discernement mais renvoyé dans une maison de correction pour y être élevé et détenu jusqu'à l'âge de vingt ans accompli". Ce qui implique une situation paradoxale : un acquitté va plus longtemps en prison qu'un enfant reconnu coupable et condamné ! Car au début du XIXe siècle, il n'existe ni prison d'enfants - La Petite Roquette à Paris est ouverte en 1836 - ni de quartier d'enfants dans les prisons d'adultes. Les mineurs se retrouvent alors mêlés aux autres détenus adultes, toutes catégories pénales confondues : criminels, escrocs, vagabonds, voleurs, etc. La distinction établie dans la circulaire du 3 décembre 1832 entre la sanction pénale appliquée aux condamnés et la mesure éducative, appliquée aux enfants acquittés comme ayant agit sans discernement, reste théorique. Quelques décennies plus tard on condamne toujours lourdement : ainsi en 1877, le tribunal de Tours condamne un enfant de 13 ans a être placé à Mettray jusqu'à l'âge de 20 ans pour un vol de boîtes de sardines, de fromage, de galettes et de chocolat...

De plus, le Code civil [Correction paternelle, articles 371-382.] donne au père le droit de faire enfermer ses enfants, à ses frais, sans jugement, sans acte judiciaire ; le magistrat délivrant seulement un ordre d'arrestation. L'enfermement dure de un à six mois.

Dans les années 1820-1830, une première réflexion sur les prisons est initiée sous l'influence de La Rochefoucaud-Liancourt, d'Alexis de Tocqueville, de Gustave de Beaumont, de Benjamin Delessert ainsi que des inspecteurs généraux des prisons : Charles Lucas et Louis-Mathurin Moreau-Christophe, ancien avocat à Loches.

Un courant réformateur se préoccupe des difficiles questions de l'enfance en danger moral et de l'emprisonnement des enfants. On part en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, en Amérique étudier le système pénitencier. Le vicomte Louis-Hermann Brétignières de Courteilles, Frédéric-Auguste Demetz voyagent, étudient, écrivent. Tous les réformateurs préconisent de traiter les jeunes délinquants avec humanité : les rééduquer par le travail et l'instruction. Le principe rousseauiste selon lequel "l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt" influence Demetz, et, sur le modèle de la Colonie agricole de Horn près de Hambourg (Rauhe Haus), il met en place la structure de la Colonie de Mettray.

Le 4 juin 1839, la Société Paternelle est créée avec comme administrateurs Tocqueville, l'architecte Abel Blouet, Lamartine et le vicomte de Flavigny, conseiller général d'Indre-et-Loire. Le conseil d'administration est présidé par le comte de Gasparin, ancien ministre de l'Intérieur, pair de France et Frédéric-Auguste Demetz en devient vice-président et directeur de la Colonie.

Pétri de préventions morales à l'égard de l'oisiveté, Frédéric-Auguste Demetz préconise pour les enfants "le travail fortifiant du cultivateur, le plus apte à calmer les dérèglements de l'esprit". Il s'agit d'améliorer la terre par l'homme et l'homme par la terre", adage repris par l'inspecteur général des prisons, Charles Lucas "Sauver le colon par la terre et la terre par le colon". Cette vertu rédemptrice de la vie agricole rurale est le reflet d'une société où la paysannerie représente alors les deux tiers de la population française, soit 26 millions de ruraux pour 8 millions de citadins en 1846.

Enthousiasmé par ces idées, son ami Louis-Hermann Brétignières de Courteilles, conseiller général d'Indre-et-Loire et propriétaire à Mettray, qui a prévu de créer sur ses terres un hospice, lui fournit les terrains nécessaires (plus de 700 hectares) près de son domaine du Petit-Bois. Il sera un admirateur et un administrateur dévoué de l'oeuvre jusqu'à se faire enterrer à la Colonie : "j'ai voulu vivre, mourir et ressusciter avec[les colons] de Demetz". Dès juillet 1839, un bâtiment, prévu initialement pour l'hospice, est mis à disposition par Brétignières pour servir d'Ecole des contremaîtres. Cette école préparatoire forme des jeunes "de familles respectables, appelés à servir d'encadrement aux colons". C'est la première école d'éducateurs en France. Jusqu'alors, seuls des gardiens de prisons prenaient en charge les jeunes délinquants. La formation des éducateurs et l'instruction ont beaucoup préoccupé Demetz : "C'est de nos jours une tendance fâcheuse de trop chercher à économiser sur le personnel des agents lorsqu'il s'agit de l'éducation des enfants... Si on a peu obtenu jusqu'à ce jour, en fait d'éducation, c'est qu'on a trop souvent substitué l'action disciplinaire à l'action morale" [Demetz, 1847.]. La réussite du système éducatif à Mettray est telle qu'au début des années 1870, 90 % des colons savent lire et écrire à leur libération alors que l'illettrisme est très répandu en France. Cette école d'éducateurs ferme en 1873, à la mort de Demetz.

L'architecte et ami de Demetz, Abel Blouet, grand prix de Rome, conçoit et réalise les plans de la Colonie : des maisons implantées autour d'une chapelle visible de partout à l'instar du Panopticon de Jeremy Bentham (1748-1832). En France, Blouet est le propagateur le plus fervent de ce modèle ainsi que celui des prisons de Pennsylvanie.

Le 22 janvier 1840, les premiers jeunes colons arrivent de la prison d'adultes de Fontevraud. Voici la description de la colonie telle qu'elle est présentée dans l'Annuaire d'Indre-et-Loire [Annuaire - almanach historique, administratif et commercial d'Indre-et-Loire, Tours, impr. Ribaudeau et Chevalier, 1879, 634 p.] :

"La colonie est située à 7 kilomètres de Tours sur un plateau fertile et bien cultivé, qui domine la petite vallée de la Choisille. Aujourd'hui, les bâtiments de la Colonie se composent de dix chalets, rangés symétriquement autour d'une vaste cour plantée de grands arbres avec un bassin au centre ; à l'extrémité N.E., la chapelle, de chaque côté de laquelle se trouve une maison assez spacieuse pour loger une partie des employés, puis à l'autre extrémité, S.O., deux pavillons dont l'un est habité par le directeur. Entre ces deux pavillons, on voyait jadis se dresser un trois-mâts, donné, en 1847, par le ministre de la marine [...]. Autour de cet immense quadrilatère il y a encore d'autres constructions nombreuses, situées ça et là au milieu des dépendances de la Colonie, sans parler des fermes détachées qu'on trouve jusque dans les communes voisines".

L'Annuaire d'Indre-et-Loire [Annuaire statistique et commercial du département d'Indre-et-Loire, Tours, impr. Ladevèze, 1869, 679 p.] fournit des précisions sur les activités des colons :

"Ils habitent de jolies maisons, construites en partie par eux-mêmes, dans une position pittoresque. Le rez-de-chaussée contient des ateliers de tailleurs, de cordonniers, de bourreliers, de menuisiers, de charrons, forgerons. Au premier et au second étages se trouvent des dortoirs pouvant contenir chacun vingt enfants ; les hamacs dans lesquels ils couchent sont disposés de telle sorte que la surveillance est facile pendant la nuit, et que, repliés pendant le jour le long des murs, ils laissent la pièce libre : des planches, fixées à des poteaux par des charnières, s'abattent à volonté, et forment table dans toute la longueur de la pièce qui sert alors de réfectoire. Lorsque ces tables sont dressées le long des poteaux et les hamacs repliés le long des murs, on a une vaste salle où, dans les temps de pluie, les jeunes colons peuvent se livrer à diverses occupations, en restant soumis à une surveillance continue ; un chef de famille couche dans chacun des dortoirs, et pendant la nuit, deux contre maîtres font successivement la garde, jusqu'au jour.

Chaque maison renferme ainsi quarante enfants, divisés en deux sections, et formant une famille commandée par un chef qui a sous ses ordres deux contre maîtres. Dans chaque section, les colons choisissent eux-mêmes dans leurs rangs un frère aîné qui seconde les chefs dans la surveillance de ses camarades.

Les colons sont conduits en ordre au travail des champs ; ils sont occupés à la culture des céréales, des légumes, à l'horticulture, à des travaux de terrassement, à l'extraction des pierres et à l'entretien des routes ; le conseil général d'Indre-et-Loire a en outre confié à la Colonie le soin du jardin-école qu'il a fondé pour la culture des mûriers ; pendant la mauvaise saison, ils se livrent à des travaux sédentaires dans les ateliers de la Colonie. On leur donne, en outre, l'instruction convenable aux professions qu'ils doivent exercer : on leur enseigne la lecture, l'écriture, le calcul et le dessin linéaire. Le dimanche, deux heures sont consacrées à des exercices gymnastiques qui se rapprochent pour la plupart aux manoeuvres militaires, et qui préparent ainsi ceux qui seraient appelés sous les drapeaux à faire de bons soldats.

La chapelle élégante qui s'élève au milieu de la colonie, et à laquelle sont réunies les cellules de punition, a été bénite au mois de septembre 1843, par monseigneur l'archevêque de Tours."

Un système et son essor

A Mettray, "les fondateurs de cette colonie se sont surtout appliqués à inculquer aux jeunes détenus des notions de morale pratique et de sociabilité. Ce n'est dès lors, à Mettray, ni le sentiment religieux que l'on appelle à dominer l'enseignement, ni même l'intelligence que l'on cultive avec le plus grand soin. L'enseignement intellectuel y est faible, l'enseignement religieux secondaire. Ce qu'on s'applique à développer, ce sont les sentiments du juste, l'amour de la famille, les affections ou, pour me servir d'un mot de Gall [créateur de la phrénologie], l'affectuosité" [G. Ferrus, Des prisonniers, de l'emprisonnement et des prisons, Paris, P. Bayère, 1850]. La devise préférée de Demetz étant "Loyauté passe tout", l'honneur fait, à la colonie, l'objet d'un culte particulier. Les promesses et les serments tenus par les colons doivent être respectés : "le mensonge est considéré à Mettray comme la pire des fautes : c'est un crime même plus grand que le vol, car le vol peut être atténué par les circonstances, et il n'en est pas ainsi du mensonge" [Sauvestre, Une visite à Mettray, Paris, Hachette,1864.]. Considérant comme un honneur le fait d'appartenir à la Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray, Demetz a créé l'"Association fraternelle" regroupant les fondateurs, les professeurs, les chefs, les sous-chefs et les colons : "Tous portent un anneau, signe matériel du lien de bienfaisance et de reconnaissance qui les unit" [Bonneville de Marsangy, Moralisation de l'enfance coupable, Paris, A. Anger, 1867]. Les colons reçoivent cet anneau, lien d'honneur entre eux et le personnel, lorsqu'ils ont vingt ans et qu'ils sont restés entièrement irréprochables depuis leur sortie de la Colonie. Un rituel bien ancré dans cette époque de compagnonnage et de sociétés secrètes.

Un travail moralisateur, une éducation stricte, une discipline impitoyable, des horaires rigoureux, une vie de famille omniprésente, tel est le quotidien du colon de la Colonie de Mettray.

"Demandant un jour à un colon qui avait tenté deux fois, au péril de sa vie, de s'évader de la maison centrale, pourquoi il ne songeait pas à fuir de la Colonie où il était soumis à un travail beaucoup plus pénible, il répondit : C'est qu'à Mettray il n'y a pas de murailles" [Assemblée générale des fondateurs, 1843, p. 16.].

En 1864, dans son ouvrage Une visite à Mettray, Charles Sauvestre insiste sur l'absence de murs de clôture :

"J'ai dit mon arrivée à la colonie à travers des bosquets et des jardins, et comment je me suis trouvé tout à coup au milieu de la place, sans avoir rencontré une seule muraille. Le lendemain, à pareille heure, même entrée : les enfants jouaient, c'était la récréation du matin, avant le départ pour les ateliers. Point de murs, ni de fossés, ni de clôtures d'aucune sorte, encore moins de sentinelles".

"J'aime Mettray, ce paradis au coeur de la Touraine royale."

Jean Genet, Miracle de la Rose, p. 366

Mais la mention "Dieu te voit" était écrite sur les murs des bâtiments.

De même, Ch. Flor O'Squarr, rédacteur du journal Le National écrit, lors d'une série d'articles intitulés "Le tour de France en 80 jours" en septembre 1879 :

"Quand on arrive [à Mettray] on s'étonne tout d'abord de ne rencontrer ni gardien, ni gendarme".

50 ans plus tard, l'absence de clôture étonne le colon Jean Genet lors de son arrivée à Mettray. Par cinq fois il signale ce fait dans son roman Miracle de la Rose :

"Nous étions à Mettray et j'eus la stupeur et l'épouvante de constater que nous y étions sans avoir franchi de murs, de barbelés, de ronces, de ponts-levis [...].

Il n'y avait pas de murs, mais des lauriers et des bordures de fleurs [...] nous étions victimes d'un feuillage en apparence inoffensif mais qui, en face du moins osé de nos gestes, pouvait devenir un feuillage électrisé, élevé à une tension telle qu'il eût électrocuté jusqu'à notre âme [...].

La colonie n'était pas entourée de murs. Notre nostalgie était profonde, mais la mélancolie qui s'y formait n'était pas assez intense, elle ne s'accumulait pas, elle ne se heurtait pas aux murs, montant comme le gaz carbonique dans une grotte. Elle s'échappait lors de nos promenades, ou quand nous allions travailler dans les champs. Les autres pénitenciers d'enfants : Aniane, Eysses, les prisons, la Santé, les Centrales, sont entourés de murs. La souffrance et la tristesse ne peuvent s'enfuir, elle se réfléchissent contre les murailles [...].

Aniane était une colonie fermée, ceinte de murs infranchissables, comme Eysses d'ailleurs [...]. Le climat d'Aniane devait être plus oppressant que le nôtre, à cause des murs, et les enfants qui poussaient derrière étaient pour nous très différents des colons d'ici, une autre végétation les couronnait [...].

La colonie n'étant contenue par aucune muraille [...] aucune explosion n'était possible".

La loi du 5 août 1850 énonce certains principes qui fixent la doctrine de la pénitentiaire pour les jeunes détenus : les mineurs doivent recevoir une éducation morale, religieuse et professionnelle ; un quartier spécial doit être réservé aux jeunes dans les maisons de correction, les jeunes acquittés non remis à leur famille seront conduits dans une colonie pénitentiaire.

Le développement des colonies peut alors s'accélérer en France. En 1850, on dénombre 35 colonies (mais 5 seulement sous administration publique) devenues la forme de punition privilégiée des législateurs.

En dehors des jeunes détenus auxquels il est fait application de l'article 66 du Code pénal, la Colonie de Mettray est autorisée, au terme de la loi du 5 août 1850, à recevoir les mineurs détenus par voie de correction paternelle en vertu des articles 375 et suivants du Code civil. Enfin, la Colonie reçoit des enfants placés par les services départementaux des enfants assistés. Dans une lettre du 14 avril 1892, le directeur de Mettray indique au préfet d'Indre-et-Loire les conditions d'accueil et de placement :

"Jusqu'ici nous avions reçu, sur un simple arrêté préfectoral les pupilles indisciplinés des divers départements qui avaient recours à notre intervention [...] M. le Ministre de l'Intérieur a décidé qu'à l'avenir nous devions nous conformer à l'art. 121 du règlement général des colonies agricoles, c'est à dire de ne plus admettre aucun pupille sans une ordonnance de M. le président du tribunal civil".

La Société Paternelle est reconnue d'utilité publique par décret du 21 juillet 1853. La Société ne s'occupe pas que des délinquants pendant leur séjour à la Colonie ; elle vient en aide aux anciens colons. Ainsi "Le Patronage des jeunes libérés" prend en charge les anciens colons à la Colonie même. A Paris une double émanation du "patronage des jeunes libérés" est aussi créée pour "exercer sur ces moralités encore chancelantes une surveillance des plus actives et des plus paternelles" [Demetz, correspondance, 10 juin 1860, 114J228.]: l'Agence La Paternelle [8 rue des Moulins à Paris.] et l'Association des Fondateurs, Chefs, Sous-Chefs de famille de la Colonie de Mettray [4 rue Cherubini, Paris.]. Le texte du livret de l'Association des Fondateurs est très évocateur de l'état d'esprit des fondateurs : "Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. L'an 1843 après la naissance de celui qui a promis la gloire au ciel, et la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, nous avons fondé pour le bien l'ASSOCIATION DE METTRAY".

Demetz fonde aussi en 1855 la Maison paternelle de Saint-Antoine à Mettray, sur le site même de la Colonie. C'est un collège réservé aux enfants difficiles de la bourgeoisie. La loi autorise à faire détenir un enfant contre lequel le père de famille a de graves sujets de mécontentement [Article 375 et suivants du Code civil, mise en détention par voie de correction paternelle]. Un enfant de moins de 16 ans peut ainsi être détenu pendant un mois et un enfant de 16 à 21 ans pendant six mois. Le quartier de punition de la Colonie, construit sur le modèle de la prison de Philadelphie, est affecté à cette catégorie d'élèves. Aucun enfant ne peut être admis à la Maison paternelle sans que ses parents aient obtenu du président du tribunal une ordonnance qui régularise leur séjour. Il n'y a aucune écriture ni formalité judiciaire, si ce n'est l'ordonnance même dans laquelle les motifs ne sont pas énoncés.

L'Annuaire d'Indre-et-Loire [Edition de 1879] souligne que Demetz

"créa cette institution, qui n'est autre qu'un collège de répression, où l'on reçoit les élèves paresseux et indisciplinés qui se sont rendus impossibles dans les maisons d'éducation, et les fils de famille insoumis sur lesquels l'autorité paternelle est demeurée sans effet. Avant l'établissement de la maison paternelle, les parents n'avaient à leur disposition que deux moyens extrêmes et peu efficaces : envoyer l'insoumis sur un vaisseau ou le faire détenir dans une prison... Le séjour sur un vaisseau ou dans une prison est-il de nature à améliorer la conduite d'un jeune homme ? Il est permis d'en douter. Ce qui est certain, c'est que, s'il lui reste le moindre sentiment de dignité personnelle, il sortira de prison profondément ulcéré, et comprendra qu'un châtiment imprime un stigmate de honte qu'une vie honorable peut difficilement effacer. On aura puni, on n'aura pas corrigé. En présence de cette situation désespérante, M. Demetz a pensé qu'après avoir régénéré par le travail l'enfance délinquante, il pouvait entreprendre la guérison des fils de famille paresseux, immoraux, indisciplinés et il a fondé la maison paternelle, dont la renommée s'étend déjà aussi loin que celle de sa soeur aînée, la colonie de Mettray. La maison paternelle,bien que située dans les dépendances de la colonie, en est complètement séparée ; elle en est indépendante ; un même directeur est à la tête de ces deux grandes institutions, mais elles ont chacune un personnel distinct.

Le régime en vigueur y est tout différent de celui auquel sont soumis les pensionnaires des autres maisons d'éducation. Les élèves occupent chacun un logement séparé, ils ne se voient jamais entre eux, même pendant les offices religieux. Les études commencées ne sont pas interrompues, loin de là, elles sont suivies avec plus de régularité que jamais, puisque l'élève n'est distrait par aucun camarade. Outre les professeurs de latinité et de sciences, on lui donne des maîtres de langues étrangères, de musique, de dessin, de gymnastique, d'armes, d'équitation et d'instruction militaire ; toutes ces leçons sont données en particulier. Les élèves font chaque jour une promenade d'une heure, dans les environs, sous la direction d'un surveillant ; ils ne sortent jamais deux ensemble. Dès qu'un jeune homme fait preuve de bonne volonté, sa situation s'améliore ; il quitte sa cellule aux murs tristes et nus pour une chambre d'un aspect moins sévère ; on lui donne des tableaux, des livres de lecture, des oiseaux, et, parfois, on lui fait faire une petite excursion, sous la conduite d'un professeur, à quelques châteaux historiques de Touraine.

Il faudrait qu'un élève eût une bien mauvaise nature pour persévérer dans le mal, quand il est convaincu que les soins intelligents et affectueux dont il est l'objet n'ont d'autre but que de le replacer dans des conditions qui doivent avoir pour résultat son bonheur et celui de sa famille".

Dans une lettre du 8 janvier 1875, le directeur de la Colonie de Mettray précise :

"Le séjour d'un élève de la Maison paternelle dépasse rarement deux mois. La faculté de le reprendre s'il commet de nouveaux méfaits et de le soumettre alors à un régime beaucoup plus sévère exerce sur lui une intimidation salutaire qui rend en général ce temps d'épreuves suffisant"

Parmi les jeunes placés à la Maison paternelle, citons Saint-Yves d'Alveydre, le fils de Jules Verne, Michel, Léo Taxil (Jogand Pagès) et Arry Scheffer, descendant du peintre hollandais Scheffer établit en France...

Avec la Colonie agricole et pénitentiaire et la Maison paternelle, "l'enfance pauvre délinquante et l'enfance riche insubordonnée se trouvent placées désormais sous le coup d'une salutaire intimidation" [Demetz, lettre au Procureur impérial de Tours, 22 septembre 1866, A.D.I.L. 114J235.]

Durant les années 1840-1860, la Colonie de Mettray va être visitée et étudiée par de nombreux voyageurs : "Prisons et colonies correctionnelles modèles - Amsterdam, Gand, Walnut Street (Philadelphie), Pentonville en Angleterre (1842), en France la Petite-Roquette, Mettray près de Tours... - jalonnent les itinéraires des philanthropes qui sillonnent l'Europe et le continent nord-américain" [M. Perrot, "L'Europe pénitentiaire", dans Les Ombres de l'histoire, crime et châtiment au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2001]. En août 1849 le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, visite la Colonie de Mettray.

Au cours de la guerre de 1870-1871, la Colonie est occupée par l'armée prussienne et l'infirmerie réquisitionnée.

"Conséquence inattendue de la défaite de 1870, l'éducation physique des mineurs, restée jusque-là parfaitement mythique, allait prendre une place de choix dans le système rééducatif. Plus soucieux de faire régner l'ordre dans leurs établissements que de se préoccuper des problèmes directement liés à l'instruction, les directeurs des grandes colonies n'avaient pas tardé à découvrir tout le bénéfice qu'ils pouvaient tirer des méthodes semblables à celles de l'armée dont, comme chacun sait, la discipline fait la force principale. Ils étaient soutenus dans cette nouvelle orientation par l'esprit de revanche et le militarisme qui vont dominer durant les trente dernières années du siècle" [Yves Roumajon, Enfants perdus, enfants punis, Paris, Robert Laffont, 1989]. Les colons doivent devenir de bons soldats en s'engageant dans l'armée. Ils le feront massivement, dans le but de partir de la Colonie avant l'âge de 20 ans, profitant ainsi d'une libération anticipée qui peut être accordée au bout d'un an de bonne conduite.

Toutefois, la Colonie de Mettray reste, à cette époque, l'exemple le plus achevé de modèle éducatif de réinsertion sociale par le travail et les notabilités sont toujours enthousiastes. Ainsi, la Colonie reçoit-elle la visite du maréchal Mac-Mahon, président de la République, le 15 septembre 1877. Entre 1839 et cette époque, environ 1.400 élèves ont séjourné à la Maison paternelle et plus de 4.500 à la Colonie.

Une évolution répressive

Pour de multiples raisons, la situation de la Colonie se détériore dans les années 1880.

Sous le second Empire, la France est passée d'une société agricole à une société industrielle. Dans les villes, une délinquance juvénile apparaît, composée d'exclus, de marginaux, de délinquants, d'asociaux ou qualifiés comme tel, qui appartient généralement aux classes laborieuses et pauvres. La solution purement agricole, préconisée à Mettray comme capable d'amender les "égarés" va alors devenir un handicap : les trois quarts des enfants placés, d'origine urbaine et de milieux ouvriers, "rentrés chez eux leur peine accomplie, ne trouvaient pas d'emploi faute d'apprentissage [d'un métiercitadin]. Le retour dans leur cité d'origine signifiait, pour un très grand nombre d'entre eux, chômage et souvent récidive" [Roumajon, op. cit.].

Aux élections de janvier 1879 la "république des ducs" (Broglie, Decazes...) s'est effondrée. La bourgeoisie d'affaires arrive au pouvoir ce qui irrite l'aristocratie terrienne. La France s'engage dans des conflits nés de la volonté de laïcisation de l'Etat. Les Républicains bloquent la subvention pour le prix de journée pour les établissements privés, malgré l'augmentation du coût de la vie. De plus, bien qu'un colon de Mettray coûte moins cher à l'Etat qu'un colon d'une colonie d'Etat, il est fait reproche à Mettray de n'être pas rentable. Reproche déjà émis en 1866 : "les établissements de M. Demetz sont de tous points excellents et donnent de merveilleux résultats, mais ils coûtent trop cher" [Bonneville de Marsangy, Mettray, colonie pénitentiaire, maison paternelle, Paris, Plon, 1866]. Le gel des subventions, la quasi disparition des mécènes, la raréfaction des dons ainsi que les locations souvent onéreuses des terres agricoles rendent plus précaire le bilan d'exploitation et entraînent à la Colonie de Mettray de grandes difficultés financières. Le personnel se réduit pour de banales raisons budgétaires, les effectifs augmentent, manière de rentabiliser l'établissement. La pédagogie est laissée de côté, la discipline privilégiée. D'autant que certains spécialistes du pénitentiaire considèrent que les colonies privées sont moins dures que les colonies publiques.

Malgré cette reprise du répressif, les colons vont désormais devenir "pupilles", appellation moins péjorative dans l'esprit des législateurs.

La laïcisation des institutions se poursuivant, les établissements religieux doivent fermer. De 1880 à 1888, 16 colonies privées (sur trente et une) sont fermées. En 1889, il ne reste plus que des établissements privés laïcs. Belle-Ile-en-Mer se transforme le 29 mai 1880 en colonie pénitentiaire pour jeunes. Les pouvoirs publics ouvrent, en 1885, Aniane, chargé de recevoir les mineurs difficiles venant des colonies privées. En 1895, le ministère de l'Intérieur ouvre la colonie d'Eysses pour y placer les pupilles les plus endurcis aux fins de "défense et de protection de la société".

En France, le projet éducatif pour les enfants délinquants est mis en attente. Les éducateurs sont remplacés par d'anciens militaires et des gardiens de prison. Le garde des sceaux, par une circulaire du 11 mars 1876, prescrit aux procureurs généraux de n'exercer des poursuites contre les mineurs de moins de 16 ans que dans des circonstances graves et de leur faire subir de courtes peines de prison plutôt que de les placer dans des colonies, mesures qui les dotent d'un casier judiciaire leur fermant une carrière militaire. La direction de la Colonie fustige l'application de cette mesure qui, à ses yeux, ne fait que diminuer l'effectif total et renforce "le recrutement d'enfants beaucoup plus vicieux [...] Mais ce qui est le plus affligeant c'est qu'on a restreint les poursuites aux seuls sujets profondément vicieux; Aussi un certain nombre des enfants qui nous arrivent sont-ils profondément gangrénés" [Rapport de la direction de la Colonie de Mettray aux membres de la commission de permanence, décembre 1881]. Dans les années 1880 la Colonie reçoit donc des enfants ayant subi des condamnations pour des petits délits et que l'on envoie en correction pour des fautes plus graves mais acquittés comme ayant agit sans discernement.

La situation financière et matérielle de la Colonie de Mettray, institution privée, devient très difficile. Les juges limitent la durée du placement. En 1885, le conseil général de la Seine retire les enfants placés par l'Assistance publique. Seule l'administration pénitentiaire soutient encore la Colonie.

Après la mort en 1884 du directeur Blanchard, ancien adjoint de Demetz, les nouveaux surveillants, souvent d'anciens militaires, privilégient la discipline au détriment de l'éducation. Si Mettray ignorait, à sa création, les châtiments corporels ["Rien qui irrite ou dégrade. Les seules punitions sont une mise en cellule..." Bonneville de Marsangy, Mettray..., op. cit.], cet état d'esprit cesse définitivement d'exister dans ces années-là. Les brimades, les punitions sévères et les isolements en cellule augmentent. Pour illustrer l'atmosphère de Mettray à cette époque, citons une lettre du directeur au préfet d'Indre-et-Loire au sujet de la démission d'un chef de famille : "la vie sérieuse qu'on mène à Mettray, l'absence des plaisirs qu'on rencontre dans les villes sont, je crois, les véritables motifs qui l'ont déterminés à quitter Mettray". Malgré l'extrême fermeté à l'égard de ses colons, la Colonie de Mettray demeure encore en 1888 (voir tableau page suivante) l'établissement privé de France recevant le plus de jeunes colons. Les campagnes de presse, commencées dès 1887, le retrait des enfants assistés du département de la Seine, l'abaissement des subventions ternissent l'image du projet éducatif de la Colonie. En 1909, le suicide d'un jeune de la Maison paternelle et la campagne de presse qui lui fait suite, aboutissent à la fermeture de la Maison paternelle.

La fermeture de la Colonie

Pendant la guerre de 1914-1918, la Colonie accueille des réfugiés belges, italiens, une école de Paris et une partie de l'école Théophile Roussel de Montesson. L'effectif des colons a nettement baissé durant ces années. Si le nombre des colons présents en 1912 était de 521, il n'est plus que de 71 en 1916 pour revenir à 120 en 1918. Après la guerre, les garçons sont plus âgés et ont commis des délits plus graves. A côté des pupilles jugés par les tribunaux viennent à Mettray les pupilles indisciplinés de l'Assistance publique de toute la France. La Colonie, par décret du 8 mars 1911, est autorisée à recevoir cette catégorie de mineurs. Le personnel d'encadrement composé souvent d'anciens combattants prompts à exalter la discipline, est de moins en moins qualifié. Les colons souffrent de plus en plus, les évasions augmentent, l'ambiance est pesante et militariste comme en témoigne, dans ses romans, l'écrivain Jean Genet, colon de 1926 à 1929 :

"Lever à six heures ; un gâfe ouvrait la porte, nous allions chercher dans le couloir les fringues posés la veille avant d'aller se coucher. On s'habillait ; cinq minutes aux lavabos. Au réfectoire, nous buvions un bouillon et on partait pour l'atelier. Travail jusqu'à midi ; on revenait au réfectoire jusqu'à une heure et demie ; à l'atelier encore ; à six heures, la soupe ; à sept heures, le dortoir [Genet, Miracle de la Rose, Lyon, L'Arbalète, 1946].

Dans les années 1920-1930, la Colonie reçoit les enfants placés par les tribunaux [Articles 6 et 21 de la loi du 22 juillet 1912] et les enfants indisciplinés de l'Assistance publique de toute la France remis par les départements [Application des articles 1 et 2 de la loi du 28 juin 1904]. Ce que constate Genet [Genet, op. cit.] : "De l'amour que se portaient les colons, l'amour qui les portait, qui les jetait l'un contre l'autre, la furie était peut-être augmentée par le désespoir d'être privé de toute autre tendresse de l'affection d'une famille. [...] Les tribunaux de province condamnant aussi à la Colonie, convergeaient donc ici beaucoup de jeunes crapules de France". La Colonie ne reçoit théoriquement plus de mineurs de moins de 18 ans acquittés, en vertu de l'article 66 du Code pénal, et confiés par l'administration pénitentiaire. L'effectif est de l'ordre de 430 à 460 colons, car la demande de placement est forte après la guerre. En France, la situation du pénitentiaire et de nombreuses colonies publiques est telle que, de 1920 à 1926, les fermetures se succèdent. Le poste de directeur de l'administration pénitentiaire centrale est même supprimé en 1926 ! La colonie de Mettray est devenue "un bagne privé dont la fermeture immédiate s'imposerait, si tant de personnages influents ne faisaient partie de son Comité d'honneur et de son conseil d'administration". [Gaillac, Les maisons de correction, 1830-1945, Paris, Ed. Cujas, 1970]

La révolte importante en 1911 à la Colonie de la Motte-Beuvron alerte les consciences. Dans les années 1930, une campagne de presse "contre les bagnes d'enfants" est principalement menée par le journaliste Alexis Danan. A Mettray, trois inspections de l'Inspection générale des Services pénitentiaires en 1930, 1931 et 1936 sont provoquées par les exactions des surveillants et le manque de vigilance de la direction tenue depuis janvier 1922 par Jacques Lardet [Né en 1857, ancien directeur de colonie publique à la retraite de l'administration à l'âge de 61 ans]. En 1930, la majorité des surveillants a plus de 60 ans. Dans les années 1930, Mettray subit discipline rigide, fugues, évasions, répression, révoltes. Un nouvel article de Danan dans l'Intransigeant le 23 novembre 1934 intitulé : "Une honte, Mettray, établissement privé et de tortures où on supplicie les malheureux gosses placés en éducation surveillée" amène le conseil d'administration de la Société Paternelle, alors présidé par Joseph Berthélémy, membre de l'Institut et doyen de la faculté de droit de Paris, à intenter et à perdre un procès en diffamation contre ce journaliste en 1937.

La révolte de Belle-Ile-en-Mer en 1934, le décès d'un colon à Eysses en avril 1937, la révolte d'Aniane en août 1937 entraînent indignations de la presse et de l'opinion publique.

A la suite de campagnes virulentes et d'enquêtes de toutes sortes, le ministère de la Justice et l'Assistance publique retirent les pupilles de Mettray en 1937. La Colonie de Mettray a vécu : entre 1839 et 1937, près de 17.780 jeunes y auraient séjourné.

Le devenir des bâtiments de l'ancienne Colonie

Requis par l'armée française en novembre 1939, les bâtiments de la Colonie accueillent les régiments mobilisés en route vers l'Est. Un jeune lieutenant, Pierre Mendés-France, se souvient avoir pris ses quartiers dans le bâtiment dit "Maison de Marie".

"Lors du départ brusqué des troupes françaises en juin 1940, aucune clé n'a été rendue et tous les bâtiments ouverts ont été laissés à l'abandon" [Procès-verbal, état des lieux, conseil de liquidation de la Paternelle, avril 1950, ADIL 30 J 210]. Les autorités allemandes occupent la Colonie de juillet à décembre 1940. Elles s'y installent à nouveau lors de leur passage en mars 1941. De plus, lors de la Seconde Guerre mondiale, la Colonie subit des bombardements endommageant les bâtiments, en particulier, en juin 1940 et en juin 1944. En 1946, le ministère des Armées réquisitionne les locaux inoccupés pour loger les familles des sous-officiers de l'armée de l'air basée à Tours. Le procès-verbal "Etat des lieux", réalisé par les membres du conseil de liquidation de la Paternelle en avril 1950, signale que "le bâtiment 18 vient d'être seulement libéré (le 30 mars 1950) des réquisitions militaires". [ADIL 30 J 210]

"Construite avec des gars qui montent leur vie pierre à pierre, taillée dans le roc, embellie par mille cruautés, la Colonie de Mettray scintille au milieu pourtant d'un automne presque continuel."

Jean Genet, Miracle de la Rose, p. 267

Dès 1939, les biens sont dévolus par le conseil d'administration de La Paternelle aux Orphelins-apprentis d'Auteuil. Mais, bien qu'une cinquantaine d'orphelins viennent et restent à Mettray jusqu'en mars 1946, le conseil d'Etat donne un avis défavorable à la dévolution pour incompatibilité de statuts de la Société Paternelle et des Orphelins-apprentis d'Auteuil.

En 1948, l'Association des Amis de la jeunesse française loue les bâtiments de Mettray. La Colonie se nomme alors Village de l'Espérance (1948-1949), puis Village de l'Espoir (1950). Après des travaux de restauration en 1951, cette association est dissoute. Le lieu est alors abandonné, sans affectation.

En 1953, le conseil d'administration de la Société Paternelle, toujours en activité, propose la création d'un institut médico-professionnel (IMPRO) nommé "Le Village des Jeunes". Des bâtiments sont rénovés, les pavillons "Orléans, Poitiers et Tours" détruits. En 1957, le Village des Jeunes reçoit ses premiers pensionnaires. Cette même année, la Société Paternelle se transforme en association (Association La Paternelle) régie par la loi du 1er juillet 1901. L'IMPRO est destiné jusqu'en 1973 à rééduquer des jeunes sur requête du juge des enfants. Certains bâtiments d'origine sont encore utilisés, malgré de nouvelles destructions, comme celle de la Maison paternelle en 1985. Depuis 1973, l'institution, agréée par la caisse primaire de sécurité sociale, s'occupe d'enfants placés en assistance éducative.

Si en France l'histoire des colonies agricoles et pénitentiaires est dominée par le modèle de Mettray, cette institution reste également une référence pour toute étude sur le carcéral. Dans son ouvrage Surveiller et punir, naissance de la prison Michel Foucault écrit "J'aurais à fixer la date où s'achève la formation du système carcéral, je ne choisirais pas 1810 et le Code pénal, ni même 1844, avec la loi qui posait le principe de l'internement cellulaire ; je ne choisirais peut-être pas 1838 où furent publiés pourtant les livres de Charles Lucas, de Moreau-Christophe et de Faucher sur la réforme des prisons. Mais le 22 janvier 1840, date de l'ouverture officielle de Mettray. Ou peut-être mieux, ce jour, d'une gloire sans calendrier, où un enfant de Mettray agonisait en disant : "Quel dommage d'avoir à quitter si tôt la colonie".

Bien que l'histoire complète de la Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray reste à écrire, et si l'on tempère les comptes rendus officiels laudatifs et les propos enthousiastes des spécialistes de l'enfance délinquante du début du XIXe siècle, Mettray a été, à sa création, une véritable innovation dans la lutte en faveur de l'enfance difficile et défavorisée. Les années noires ne sauraient faire oublier celles de la réussite des débuts.

Il est à noter que le site Internet du ministère de la Justice consacre dans son chapitre "Histoire de la protection judiciaire de la jeunesse", de nombreuses pages à la Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray.

En 2001, une nouvelle revue littéraire ne s'intitule-t-elle pas également Mettray ? Si les rédacteurs de cette revue notent que "Mettray est un journal [...], c'est un espace ouvert et un lieu de questionnement [...]. Mettray est le nom d'un petit village de Touraine", rien ne vient signaler une quelconque référence à la Colonie... sauf que la photographie de couverture du premier numéro représente une "empreinte de têtes au-dessus d'un lit, sur le mur d'une cellule" et celle du deuxième numéro "la tombe de Jean Genet, à Larache, Maroc". Mettray désigne ici le destin géographique de Genet, écrivain qui a contribué à répandre, bien au delà du cercle de quelques spécialistes du judiciaire et du pénitentiaire, la connaissance et la réputation de la Colonie.

"Je veux dire que Mettray, maintenant détruit, se continue, se prolonge dans le temps" [Genet, op. cit.]. La présence de la Colonie est donc toujours vivace dans les esprits.

Pour aller plus loin

Histoire de la conservation

Jusqu'en 2000, les archives étaient entreposées dans une pièce aménagée du grenier du bâtiment de la direction dans l'enceinte même de l'ancienne colonie, actuellement le Village des Jeunes. Chacun pouvait, après autorisation de la direction, travailler sur place, au risque de déclasser les archives répertoriées sommairement lors de la création du musée de la Colonie en 1987-1989. Pour ce musée, de nombreuses pièces iconographiques furent rassemblées, dupliquées, en particulier les documents concernant les colonies agricoles des pays étrangers. Ce qui explique que, certaines fois, nous possédions des documents sous forme de planche contact sans avoir les originaux.

Malgré sa richesse historique, le fonds de l'Association La Paternelle reste néanmoins lacunaire. Il n'existe ainsi aucun dossier nominatif de colons, aucun document journalier. Il faut nuancer de tels propos lorsque l'on sait qu'au XIXe siècle, chaque directeur d'établissement d'éducation correctionnelle devait remplir et envoyer au ministère de l'Intérieur (direction des prisons et établissements pénitentiaires) les tableaux statistiques annuels ainsi que les dossiers individuels des jeunes détenus.

Recenser et classer les colons étaient une nécessité pour l'administration de la Colonie de Mettray qui fournit ainsi quelques modèles de tableaux en colonnes (âge, délit, famille, degré d'instruction, état de santé...). Malheureusement seuls quelques uns de ces tableaux subsistent.

Si les registres du conseil d'administration et de la commission des finances sont, semble-t-il, presque complets, il n'y a aucun document sur la commission de surveillance elle-même. La collection des bulletins des assemblées générales des fondateurs, publiés de 1840 à 1860, est complète. A partir de 1860 ces bulletins paraissent avec une périodicité irrégulière. Toutefois il semble que la collection soit, là encore, complète.

Il y a peu de documents sur l'organisation matérielle de la Colonie, à part quelques pièces très importantes, comme _le livre d'ordre_, règlements et répartition des tâches des employés de 1844 à 1911 (114J267). Notons aussi un dossier complet sur le suicide d'un colon en 1909 et sur ses conséquences (114J277).

En revanche, la correspondance est riche, plus particulièrement pour Demetz, l'un des fondateurs, entre 1839 et 1871, avec plus d'une vingtaine d'articles (114J220-252).

Il en est de même pour les rapports et comptes rendus de visites faites à la Colonie de 1839 à 1879 (114J576-584). L'administration, sous la direction de Demetz, semble avoir recopié tous les articles et textes se référant à Mettray.

Pour la correspondance comme pour les registres des rapports de visites, la transcription des lettres et articles n'est pas strictement chronologique. Par ailleurs, dans les registres intitulés "notices, rapports et publications sur la Colonie" et dans ceux dénommés "documents et articles de journaux publiés sur la Colonie", figurent de nombreuses lettres, des comptes rendus de rapports du conseil d'administration, des statuts et des règlements.

Pour le patrimoine, la collection d'actes de propriétés, de 1839 à 1931, tout comme les dossiers de dons et legs de 1840 à 1936, sont d'importance. Enfin, de nombreux plans illustrent les propriétés bâties et non bâties.

Les dossiers comptables sont loin d'être complets. Pour les comptes rendus de la gestion financière on se reportera à l'assemblée générale des fondateurs et aux conseils d'administration.

En ce qui concerne le personnel, tous les dossiers nominatifs des employés au moment de la fermeture en 1939 ont été conservés par la direction de la Colonie. De plus, il existe notamment un registre précieux : celui de l'enregistrement du personnel de 1839 à 1939 (114J540).

Enfin, une documentation, enrichie au cours des années, témoigne de l'intérêt suscité par la Colonie.

Il n'en reste pas moins vrai, vu le nombre de colons qui ont séjourné, soit à la Colonie, soit à la Maison Paternelle et l'importance de la gestion administrative, que de multiples documents ont été égarés, perdus ou détruits.

Quelques éléments de réponse sur la cause de ces destructions ou de ces lacunes semblent nécessaires. Ainsi, suite au suicide du colon Gaston Contard en 1909, la Colonie et son directeur ont été attaqués en justice ; le procès s'est déroulé devant les tribunaux d'Orléans et de Poitiers. Dans une lettre au Procureur de la République à Tours, le président de la Société Paternelle écrit le 20 janvier 1909 :

Au cours des perquisitions opérées à la colonie de Mettray, j'apprends que les dossiers individuels des élèves de la Maison paternelle et les registres portant les noms des anciens élèves ont été saisis.

Personne ne sait ce que sont devenus ces dossiers saisis. Les Archives départementales d'Indre-et-Loire ne les détiennent pas dans la série U, Justice. Il en est de même pour les Archives du Loiret et celles de la Vienne.

Au moment de la fermeture de la Colonie de Mettray, le directeur écrit au Procureur de la République de Tours le 13 décembre 1937 (A.D. d'Indre-et-Loire, 3 U 3 /135) :

Les derniers pupilles qui nous avaient été confiés par les tribunaux ont quitté notre établissement [...]. Notre service du Greffe a terminé le classement de tous les dossiers individuels. Ces dossiers sont très complets et réunissent de nombreux renseignements sur les antécédents de ces enfants [...]. La fermeture de notre établissement va nous conduire à la destruction de ces dossiers. Auparavant je me permets de vous demander si dans l'intérêt de la Justice vous ne trouveriez préférable qu'ils soient aux archives de votre tribunal.

En réponse, le Procureur accepte de _recevoir les dossiers des mineurs des années 1936-1937 que nous retrouvons bien dans les fonds du tribunal de grande instance de Tours versés aux Archives départementales d'Indre-et-Loire. Les autres dossiers ont certainement été détruits comme l'indiquait le directeur dans sa lettre.

Par ailleurs, il semble probable que de nombreux documents ont été détruits à l'occasion des travaux successifs dans les bâtiments. En 1985, lors de la démolition de la Maison Paternelle, divers témoignages rapportent que des archives s'entassaient dans ce bâtiment à l'abandon. Un doute subsiste cependant : des dossiers de colons sont-ils encore conservés dans un endroit non identifié ?

Enfin il faut se méfier des affirmations comme celles de l'historien Marc Soriano, qui, dans son livre La Semaine de la Comète, rapport secret sur l'enfance au XIXe siècle (éd. Stock, 1981), certifie avoir consulté des registres de colons de Mettray :

en ce qui concerne les colons, j'ai consulté la collection des registres d'écrou du pénitencier (baptisés pour la circonstance "cahiers d'accueil', mais les volumes concernant la période 1840-1845 manquent. Ils ont été détruits -indique une brève note liminaire du registre de 1848- au cours d'un incendie accidentel des archives de Mettray, en février 1847.[...]. En feuilletant lesregistres correspondant aux périodes antérieures et postérieures à 1843, je me suis aperçu qu'ils contiennent les noms patronymiques et les prénoms des jeunes détenus, et en aucun cas leurs surnoms.

En effet cet ouvrage n'est qu'une fiction !

Modalités d'entrées

Les archives de l'Association La Paternelle ont été déposées aux Archives départementales d'Indre-et-Loire le 9 février 2001.

Un second versement a été réalisé en 2019. Son inventaire a été fait en 2021

Présentation du contenu

Archives de la Colonie

Pour la période 1839-1939, les achives sont réparties en quatre grandes catégories :

  • Patrimoine (actes de propriété, legs, donations et souscriptions, propriétés bâties et non bâties)
  • Fonctionnement (administration, correspondance, comptabilité, règlements et gestion, vie quotidienne, travail des colons, éducation, vie religieuse, personnel et récits, notes sur la Colonie)
  • Bibliothèque de la Colonie
  • Documentation

Dans chaque rubrique (exemple : la chapelle de la Colonie), le classement se présente comme suit :

  • les dossiers administratifs et techniques
  • les documents iconographiques :
    • photographies, gravures, dessins
      • vues extérieures
      • vues intérieures
    • plans

Pour la période 1941 à 1997, les documents sont principalement des plans et des photographies de l'ancienne colonie.

Conditions d'accès

Communicable

Conditions d'utilisation

La reproduction des documents communicables est libre pour un usage privé, sous réserve du respect du règlement de la salle de lecture. En cas d'exploitation à des fins commerciales, l'autorisation de l'Association La Paternelle est requise pour la reproduction des documents.

Langue des unités documentaires

Les documents sont rédigés en français, d'autres en anglais

Caractéristiques matérielles et contraintes techniques

Les plaques de verres sont récolées en "mauvais état".

Documents séparés

Toutes les plaques de verres sont conservées sur le site de Chambray-lès-Tours. Les plans sont conservés dans la salle des plans sur le site des Ursulines. Les autres documents relatifs à la gestion du Village des Jeunes, de l'IMPRO sont restés la propriété de l'Association.

Bibliographie

Notes

Le fonds est conservé sur le site de Tours des Archives départemenales d'Indre-et-Loie, à l'exception des photographies sur plaques de verre, négatifs, diapositives et cassettes VHS, conservées à Chambray-lès-Tours.

Johanet (Henri), Fondation du laboratoire d'agriculture expérimentale de la colonie de Mettray le 16 mai 1875 et visite au domaine de la Briche par Rillé (Indre-et-Loire), Paris, Société des agriculteurs de France, 1875, 16 p.

Cote/Cotes extrêmes

114J647 (Cote)

Date

1875